Lettres

Approches critiques du langage
Ordre et désordre de la langue

Le Trésor de la langue française donne comme première acception du mot grammaire la définition suivante : « ensemble de règles conventionnelles (variables suivant les époques) qui déterminent un emploi correct (ou bon usage) de la langue parlée et de la langue écrite ». Il cite également l’édition de 1932 du Dictionnaire de l’Académie française qui parle d’un « art de parler et d’écrire correctement ». La grammaire, tout du moins lorsqu’on la considère comme une discipline prescriptive et normative, aurait donc pour visée d’ordonner la langue, de régir les usages en séparant les bonnes pratiques des mauvaises. La mise en ordre du langage s’accompagne en effet d’opérations de classements, de tris et de sélections. Néanmoins, comme nous le verrons, par les cas particuliers et les exceptions qu’elles exhument, mais aussi par les analyses polyphoniques et parfois contradictoires qu’elles proposent, les grammaires du français introduisent bien souvent du désordre dans la langue. Ordonner la langue, ne serait-ce pas la simplifier de manière abusive ?

Un autre questionnement portant sur la relation que l’écrivain francophone entretient avec sa langue guidera notre étude : un « bon écrivain » est-il nécessairement, pour reprendre les termes de Boileau, quelqu’un qui « énonce clairement » ce qu’il « conçoit bien » ? Ou bien se distingue-t-il au contraire par sa mise en jeu singulière de la langue ? La notion de style pourrait ainsi se définir comme une manière subjective de perturber l’ordre du bon usage, comme le rappelle Michel Foucault à propos de la littérature en général : « La littérature ne réside pas dans la perfection du message ; elle ne se loge pas dans l’adéquation du bien dit ; elle est du côté du mal dire – du trop ou du trop peu, de la lacune et de la redondance, du trop tôt ou du trop tard, du double sens et du contre-temps ».

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Manières d’écrire l’insurrection

Le cours envisagera le thème de l’ordre et du désordre à partir de textes qui évoquent différents troubles politiques, depuis la Fronde (1648-1652) jusqu’à la séquence de mouvements insurrectionnels ouverte depuis les années 2000. Deux aspects nous retiendront plus particulièrement. D’une part, les manières dont ces textes ordonnent le désordre qu’ils entendent consigner, qu’ils confèrent un ordre à des événements complexes et chaotiques afin de rendre intelligibles, ou bien qu’ils s’efforcent au contraire de produire un effet de désordre par fidélité à une certaine perception des événements relatés. D’autre part, la langue adoptée pour dire le désordre : pour dire l’insurrection, toute une tradition a en effet privilégié une langue d’allure classique, rigoureuse et majestueuse – langue pourtant réputée, à tort ou à raison, incarner et porter l’ordre en matière politique (ce serait la langue de la « monarchie absolue » des XVIIe et XVIIIe siècles) ; ce pour quoi d’autres écrivains ont pris le contrepied d’une telle langue, en s’attachant à défaire son noble ordonnancement.
Le cours consistera en l’étude d’extraits d’œuvres distribués en classe (de La Rochefoucauld à Nathalie Quintane en passant par Saint-Just, Vallès et le Comité invisible), et en l’analyse suivie d’une séquence des Mémoires du cardinal de Retz, consacrée aux premiers mois de la Fronde. Érigés en modèle de « style insurrectionnel » (Debord), ces Mémoires ont été à plusieurs reprises réactualisés pour informer actions, mots d’ordres et analyses de différentes séditions, bien différentes de la Fronde. Sainte-Beuve affirmait (en octobre 1851) : « À toutes les époques de troubles civils, les Mémoires de Retz ont été de circonstance et ont renouvelé d’intérêt […]. Aujourd’hui donc, nous sommes dans un temps propice, ce semble, pour relire ces Mémoires et en tirer quelques leçons ». Nous verrons bien si c’est toujours le cas.

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