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Plurilinguisme et linguistique du développement social

  • ECTS

    10 crédits

  • Code Apogée

    3MNTM513

  • Composante(s)

    UFR Langues et Civilisations

  • Période de l'année

    Semestre 3

Description

Trois perspectives dynamiques questionnent traditionnellement le binôme « linguistique et développement » : le développement de la faculté de langage chez l’individu (linguistique acquisitionnelle, ou niveau ontogénétique) ; le développement des langues en société (aménagement et politiques linguistiques, ou niveau ergonomique / constructionnel) ; la valeur des langues, à l’aune du sujet ou bien à l’échelle du groupe (économie des langues, ou niveau axiologique / idéologique). 
Ces trois perspectives s’éclairent mutuellement, les enjeux de l’acquisition (mais aussi de l’apprentissage et même de la perte) des langues étant directement liés aux conditions de leur transmission et de leurs statuts en société. Ici, une langue minoritaire n’est plus transmise par les parents à leur progéniture, car stigmatisée (c’est classiquement l’histoire des patois en France) ; là, une langue de prestige est imposée à l’école parce que censée être porteuse d’avenir et de développement technique et économique : c’est entre autres le cas du français en Afrique francophone ou bien de l’anglais (hypercentral) à l’échelle mondiale. Ces deux extrêmes encadrent des choix individuels, familiaux, collectifs divers, le plus souvent dictés par une vision utilitaire des langues naturelles.
En des temps plus récents, le binôme s’est enrichi d’une nouvelle approche : c’est la « linguistique pour le développement » (désormais : « LpD »), parfois également appelée « linguistique du développement (social) ». Ici, les outils du linguiste sont mis au service du développement, notion qu’il convient cependant de repenser : à l’ère du dérèglement climatique, de la menace sanitaire globale et de la crise de la mondialisation financière, rien n’est moins sûr que la nature et la direction du développement.
La LpD est loin d’être juste une linguistique appliquée, encore moins un instrument des idéologies et des pouvoirs économiques dominants. Son surgissement est lié à l’émergence et à la convergence de trois urgences interconnectées – sociales, économiques et environnementales – qui convoquent toutes la langue et le discours : 
a) il s’agit d’abord de la montée en puissance de la notion de « développement durable » – et donc du discours écologique ou écolinguistique – qui met en crise les représentations du « développement » fondées sur l’exploitation irresponsable des ressources naturelles et sur les dogmes du libre marché et de la croissance économique linéaire et illimitée ;
b) il s’agit ensuite de la normalisation d’un regard positif sur la diversité linguistique, dont la valeur, loin des fantasmes de Babel, est de plus en plus associée à celle de la biodiversité ; 
c) il s’agit enfin de l’affirmation, de jure et de facto, des droits linguistiques en tant que droits humains à part entière, et cela dans une perspective générale de décolonisation, d’autonomisation et d’auto-détermination des peuples et des individus.
La LpD se doit de prendre en compte et de relier, d’harmoniser ces phénomènes, aussi bien du côté de la théorie que de celui de la pratique linguistique. Chaque élément qui la constitue dit cette visée : la « linguistique » y est toujours une linguistique sociale qui emprunte à la praxématique (Lafont 1978) trois idées-forces : la société comme lieu de conflits ; la langue en action comme activité transformatrice de la réalité ; le praxème en tant qu’unité de production du sens en remplacement du signe saussurien, reflet ce dernier d’une société figée – comparée, dans le Cours de linguistique générale, à une « masse inerte ». Quant au parapraxème « pour », il indique la portée éthique de la LpD, dont le destinataire est moins le « développement » en soi, comme on pourrait de prime abord le croire, que les communautés qui ont besoin de développer leur potentiel. Enfin, « développement » est à interpréter de manière large en privilégiant la dimension humaine et humaniste, aussi bien en synchronie que dans la durée.
En bref, la LpD est un programme de recherche-action qui, à partir de diagnostics précis, mobilise les ressources linguistiques pour, (in)directement, améliorer la condition de vie d’individus et de communautés pour lesquels le facteur « langue » n’est guère périphérique. Cette amélioration, qui implique un travail avec et par ces mêmes individus et communautés, est ce que nous entendons par « développement ».
On comprend dès lors pourquoi les linguistes qui se sont jusque-là reconnus dans la LpD opèrent surtout dans des milieux multilingues problématiques : le lien (riche, fragile, controversé) qui unit sujet, communauté, mémoire, langue, travail, espace, y est questionné en profondeur. Par conséquent, la LpD est un terreau fécondé par plusieurs disciplines, qui se croisent et dialoguent (linguistique, droit, histoire, géographie, économie, etc.). C’est qu’elle vise le maillage social : une réalité multidimensionnelle qui demande à être appréhendée de manière complexe et à travers des approches également articulées.
Enracinée dans la « sociolinguistique de la périphérie » occitano-catalane (Lafont, Gardy, Aracil, Vallverdú, Ninyoles…) et inscrite dans le paradigme de l’écologie linguistique (Haugen), la LpD a trouvé son véritable berceau en Afrique (francophone) en raison de la taille des enjeux linguistiques qui s’y posent. La grande glottodiversité de ce continent est sans cesse et partout confrontée à l’hégémonie des langues des anciens colonisateurs, d’où une tension entre le désir d’émancipation, d’autonomisation, de pleine indépendance politico-culturelle des nations africaines vis-à-vis de l’Occident, d’une part ; et, d’autre part, la dépendance linguistique et communicationnelle vis-à-vis notamment des langues française et anglaise et des réseaux géopolitiques qui y sont associés. Cette tension affecte des domaines qui sont à la base de la gouvernance même de la cité : l’éducation ou la santé, par exemple, lourdement touchées, plombées par analphabétisme et décrochage scolaire ; mais également l’économie, notamment lorsqu’il y a fracture entre la ville et la campagne, entre les langues de grande communication internationale et les langues locales. D’ailleurs, peut-on y avoir de véritable coopération – et, en amont, de dialogue –, notamment en milieu rural, entre des experts occidentaux francophones ignorant les langues-cultures locales et des paysans africains ignorant tout ou presque de la langue française ? Le « multilinguisme équitable » est l’un des maîtres-mots de la LpD et l’un de ses principaux objectifs.
La LpD est finalement une sorte de discipline-carrefour à visée « thérapeutique » qui prend tout son relief à travers la perspective francophone africaine. Les auteurs qui ont le plus travaillé dans cette direction, de véritables précurseurs, ont en effet privilégié ce vaste espace multilingue : Thomas Bearth, engagé depuis longtemps dans une réflexion autour des enjeux de la communication et de la médiation multilingue sur le terrain. Ou bien Henry Tourneux, focalisé surtout sur le problème de la transmission des savoirs en Afrique et sur la documentation et l’outillage lexicographique de quelques langues africaines de grande diffusion, notamment dans des secteurs fondamentaux comme l’agriculture. Les principales contributions théoriques sur la LpD émanent d’esprits africains : la monographie de Métangmo-Tatou (2019) ou le recueil coordonné par Zouogbo (2022). Rien d’étonnant par conséquent que la toute nouvelle revue Jeynitaare soit une « Revue panafricaine de linguistique pour le développement » et que le Réseau international POCLANDE (Populations, Cultures, Langues et Développement) se soit constitué en société savante en 2018 à Accra (Ghana), lors d’un Congrès international de linguistique, très largement africain.
Malgré cet ancrage, c’est précisément grâce à ce réseau que la LpD prend de plus en plus aujourd’hui une dimension internationale et des formes en phase avec les différents terrains où elle évolue : l’Amérique latine, notamment à travers la recherche-action en dialectologie sociale (Léonard et Janiré Avilés González 2020) ; ou bien l’Amérique du Nord, et d’abord le contexte canadien, à travers les études d’Amélie Hien sur les droits et les devoirs linguistiques surtout en contexte judiciaire et sanitaire ; ou encore l’Europe méditerranéenne des îles et îlots linguistiques minoritaires à revitaliser dans la perspective du développement social et de la valorisation patrimoniale (Agresti 2018).

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Bibliographie

  • Agresti G. (2018), Diversità linguistica e sviluppo sociale, Milan, Franco Angeli
  • Jeynitaare. Revue panafricaine de linguistique pour le développement. Une revue du Grenier des savoirs. https://www.revues.scienceafrique.org/jeynitaare/
  • Lafont R. (1978), Le travail et la langue, Paris, Flammarion
  • Léonard J.L. et Janiré Avilés González K. (2020), Didactique des « langues en danger ». Recherche-action en dialectologie sociale. Pedagogía co-participativa y « lenguas en peligro » : Propuestas de dialectología social en acción, Paris, Michel Houdiard
  • Métangmo-Tatou L. (2019), Pour une linguistique du développement. Essai d’épistémologie sur l’émergence d’un nouveau paradigme en sciences du langage, Québec, Éditions Sciences et Bien commun
  • Réseau international POCLANDE (Populations, Cultures, Langues et Développement) : www.poclande.fr 
  • Zouogbo J.-Ph. (dir.) (2022), Linguistique pour le Développement. Concepts, contextes et empiries, Paris, Editions des Archives Contemporaines
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