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Droits linguistiques et langues minoritaires

  • ECTS

    3 crédits

  • Code Apogée

    3LNSU42

  • Composante(s)

    UFR Langues et Civilisations

  • Période de l'année

    Semestre 3

Description

Les droits linguistiques (désormais : « DL ») sont des repères juridiques permettant de gérer la diversité linguistique notamment dans des contextes marqués par un multilinguisme poussé et inéquitable. 
Dans les sociétés démocratiques et pluralistes, la formulation d’un droit vise à protéger des individus fragiles ou des groupes minoritaires qui autrement seraient discriminés ou marginalisés par les respectives majorités. Ainsi, suite au Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités (2017), peut-on affirmer que les DL « sont des droits de l’homme qui ont un impact sur l’utilisation des langues ou les préférences linguistiques des autorités gouvernementales, des individus et de toute autre entité ». L’une des sources de cette définition est sans doute la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) de l’ONU qui, à l’article 2, établit que « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés » sans distinction « de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion […] ». Cela dit, pour repérer la première règlementation de la question linguistique on peut remonter jusqu’à la Constitution belge de 1831.
Si en principe la définition onusienne des DL est consensuelle, dans la pratique, à l’aune de sa traduction dans les lois et politiques linguistiques nationales, elle est loin de faire l’unanimité : parce que les DL ne sont pas considérés partout comme des droits humains ; parce que, lorsqu’ils le sont, il n’est pas sûr du tout que leur mise en œuvre soit cohérente. Il existe classiquement un décalage plus ou moins important entre les DL sur le papier et les DL sur le terrain.
Cette diversité d’interprétations et d’actualisations des DL s’explique facilement : un DL doit d’abord être conforme aux fondements constitutionnels, aux traditions culturelles et aux politiques publiques de tel État ou de telle collectivité locale. Or, ces fondements et ces pratiques peuvent diverger beaucoup d’un pays à l’autre. Ainsi en est-il, par exemple, de la France par rapport à l’Italie : alors qu’en Italie les DL sont inscrits depuis 1948 parmi les principes fondamentaux de la Constitution (« La République protège par des normes particulières les minorités linguistiques », art. 6) et appliqués concrètement à travers une loi nationale (Loi n. 482 de 1999) et plusieurs lois régionales (ratifiées avant et après 1999), en France la protection des langues régionales a été longtemps limitée à la sphère de l’éducation (Loi Deixonne de 1951), n’a été constitutionnalisée qu’en 2008 et ne figure qu’à l’art. 75-1 de celle-ci (« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France »), soit en position très périphérique.
Cette différence résulte évidemment de l’histoire de ces deux pays. L’art. 6 de la Constitution italienne se veut une « réparation historique » des torts subis par les minorités ethnolinguistiques, notamment transfrontalières, pendant la dictature fasciste : il est donc inspiré de principes en phase avec le respect des droits de l’homme. La protection assurée par le droit est bien réservée aux « minorités linguistiques », c’est-à-dire aux groupes humains minoritaires (une douzaine), établis depuis plusieurs siècles sur le sol italien. En revanche, l’art. 75-1 de la Constitution française est l’aboutissement d’un long processus de reconnaissance, non pas de groupes minoritaires, mais de langues minoritaires historiquement enracinées dans une région donnée (le breton en Bretagne, le basque en Pays Basque, le corse en Corse, etc.) : il est donc inspiré de principes patrimonialistes. La protection assurée par le droit ne concerne que les patrimoines linguistiques, et exclut dans ce domaine toute forme de discrimination positive à l’égard de qui que ce soit : d’après le législateur, cette discrimination, encore que positive, porterait atteinte aux principes fondamentaux de la République.
Afin de différencier ces deux démarches, le Conseil de l’Europe (désormais : « COE ») a adopté respectivement la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (COE 1995) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (COE 1992). Souplesse oblige, la structure de cette dernière permet une adhésion « à la carte » de la part des gouvernements signataires, qui peuvent s’engager à plusieurs niveaux, faiblement ou fortement, et qui peuvent modifier, dans le temps, leur type d’engagement – concernant par exemple la promotion de telle langue minoritaire dans les médias, à l’école ou dans les services publics, etc.  
Il n’y a donc pas qu’un modèle ou qu’une interprétation des DL. Ainsi, ces derniers font régulièrement l’objet d’analyses comparées (de Varennes 1996). Une récente étude (Poggeschi Sous presse) aboutit à une taxinomie des DL, de première, deuxième et troisième « espèce ». Les premiers relèvent des droits fondamentaux généraux (non-discrimination sur base linguistique) et s’accompagnent des devoirs linguistiques (connaissance de la langue du pays où l’on souhaite s’intégrer, indispensable pour mieux exercer les droits fondamentaux) ; les seconds sont en revanche les droits des minorités ; les derniers concernent enfin la reconnaissance, même partielle, des DL des étrangers. Peu de pays assurent de nos jours ce type de protection (Canada, pays scandinaves et en partie l’Allemagne).
Agissant à la lisière de droit, langue(s) et société, le juriste ne saurait travailler en solo à l’élaboration des DL. Pour bien agir, il faut d’abord bien nommer ; mais, pour bien nommer, il faut bien connaître le terrain, ce qui relève de la compétence du sociolinguiste. D’où l’émergence du profil hybride du jurilinguiste. 
La dialectique entre langue, droit et société affecte la catégorisation, ou typologie sociolinguistique des langues, qui accompagne voire précède la formalisation juridique (CLME 2020) : si en Italie on use dans les textes officiels du désignant minoranza linguistica, en France on parle plutôt de « langue régionale », en Espagne de lengua propia, en Belgique de « langue endogène », au Canada de « langue ancestrale », au Mexique de lengua indígena, etc. Parfois, une même catégorie peut prêter à confusion : « langue nationale » en Europe, renvoie généralement à la (aux) langue(s) officielle(s) du pays, alors qu’en Afrique francophone il s’agit le plus souvent d’une langue locale dont la diffusion peut même être considérable (peul, bambara, éwé…) mais dont le statut n’est en aucun cas celui de langue officielle d’État. Inversement, en Europe la « langue officielle » de l’État est généralement celle qui est parlée par l’écrasante majorité de la population, tandis que dans les anciennes colonies d’Afrique une langue officielle comme le français n’est parlée que par une minorité de citoyens. 
Le problème de la catégorisation interagit constamment avec celui des représentations sociales des langues. Tant que l’occitan n’a été représenté que comme un patois à éradiquer du maillage social (y compris au nom des « droits des citoyens » comme chez l’Abbé Grégoire), impossible de le reconnaître comme patrimoine de la nation. De même, tant que les Rroms seront perçus comme nomades, alors qu’ils sont dans la plupart des cas tout à fait sédentarisés, difficile de les reconnaître comme minorité linguistique historique dans les pays, comme l’Italie, qui privilégient les langues territoriales dans leur système de DL. 
Ces deux exemples montrent à quel point les représentations sociales peuvent déterminer/entraver la reconnaissance juridique des langues minoritaires, surtout lorsqu’il est question de stigmatisation. Par conséquent, ils montrent aussi que le rôle du sociolinguiste ou de l’historien des langues dans la définition et l’application des DL, loin d’être anodin, est tout à fait nécessaire.

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Heures d'enseignement

  • Droits linguistiques et langues minoritaires - TDTravaux Dirigés24h

Bibliographie

  • Agresti, Giovanni (2021). « Droits linguistiques ». Dans : Josiane Boutet, James Costa (Sous la direction de), Dictionnaire de la sociolinguistique, Langage et société, 2021/HS1, Editions de la Maison des sciences de l’homme, p. 115-118. En ligne : https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-HS1-page-115.htm
  • Conseil de l’Europe (1992), Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. En ligne : https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/148
  • Conseil de l’Europe (1995), Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. En ligne : https://www.coe.int/fr/web/minorities/
  • Déclaration universelle des droits linguistiques (1996). En ligne : 
    https://www.pencatala.cat/wp-content/uploads/2016/02/dlr_frances.pdf
  • De Varennes F. (1996), Language, minorities and human rights, The Hague-Boston, Kluwer Law International
  • CLME (2020), Base de données textuelle « Catégorisation des langues minoritaires en Europe ». En ligne : https://www.msha.fr/baseclme/
  • Manifeste de Girona sur les droits linguistiques (2011). En ligne : 
    https://issuu.com/peninternational/docs/girona-manifesto-french
  • Poggeschi G. (Sous presse), « Comment évaluer les politiques linguistiques? Quelques considérations d’un juriste ». Dans : Giovanni Agresti, Francesc Feliu (Sous la direction de), Penser et évaluer les politiques linguistiques. Terrains, critères, indicateurs, Rome, Aracne.
  • Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités (2017), Droits linguistiques des minorités linguistiques. Guide pratique pour leur mise en œuvre, Genève, Nations Unies. En ligne : 
    https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Minorities/SR/LanguageRightsLinguisticMinorities_FR.pdf
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