Code Apogée
PI2502
Composante(s)
École Doctorale Montaigne-Humanités
Description
Invitée : Stella Mangiapane
Bouvard et Pécuchet, le dernier roman – inachevé et publié à titre posthume – de Gustave Flaubert (1821-1880), a fait l’objet de nombreuses traductions en langue italienne (la première datant de 1927) qui témoignent de l’importance que revêt ce roman au sein du système littéraire et culturel italien.
Parmi les traits esthétiques qui font de ce roman l’un des chefs-d’œuvre de la littérature française, la question de la langue – ou plutôt, devrait-on dire, des langues – joue un rôle central. Il s’agit en effet pour Flaubert d’incorporer les langues des savoirs à la matière narrative de cette « encyclopédie critique en farce » conçue pour mettre en scène une implacable revue critique des savoirs au XIXe siècle et déconstruire, par le biais du comique et du grotesque, leur pouvoir et leur valeur symboliques. L’une des particularités stylistiques de l’œuvre réside donc dans le fait que dans chaque chapitre, c’est-à-dire à chaque nouvelle expérience entreprise par les deux protagonistes, l’auteur fait résonner les langues de spécialité, i.e. la terminologie spécifique au domaine scientifique abordé ainsi que sa modélisation discursive. Chaque chapitre déploie un discours propre, souvent révélateur des apories et des insuffisances des différents savoirs – agriculture, chimie, médecine, astronomie, zoologie, etc. – et cela, suivant un projet poétique et stylistique bien précis dont portent la trace, d’un côté, l’ample dossier documentaire que Flaubert a soigneusement constitué et conservé pendant les deux années consacrées aux lectures préparatoires et à la rédaction de ses notes, et, de l’autre, les brouillons rédactionnels de l’œuvre. L’opacité sémantique qui dérive de l’extrême spécialisation de certains passages du texte se révèle être l’un des embrayeurs narratifs du roman, permettant, par le biais de toute une série d’épisodes qui effleurent le grotesque ou souvent y plongent, de mettre en scène la déconstruction des savoirs ainsi que le thème de l’échec qui sous-tend toute l’œuvre, les deux composantes étant strictement liées.
D’après l’analyse comparative d’un certain nombre de traductions italiennes avec le texte de départ, il apparaît évident que ces traits lexicaux et discursifs ont été souvent les moins soignés par la plupart des traducteurs, qui ont travaillé selon des critères hétérogènes. Dans certains cas, ils ont cru faciliter la compréhension du texte italien en s’éloignant arbitrairement du registre hautement formalisé auquel appartiennent les unités lexicales que Flaubert a choisi d’utiliser – choix qui est constamment attesté par les manuscrits de travail de l’écrivain – et en préférant, a contrario, des mots appartenant à la langue commune ; ils ont fait disparaître de la sorte, en de nombreux endroits du métatexte, la charge stylistique qui caractérise en revanche le prototexte ainsi que sa finalité narrative. D’autres fois, n’ayant pas effectué les recherches nécessaires pour retrouver les traduisants spécialisés des termes en question, ils sont même tombés dans des non-sens. En définitive et souvent, le lecteur italien ne lit pas le Bouvard et Pécuchet de Flaubert mais un autre roman, d’autres discours et une autre langue, qui a bien peu de rapport avec le projet initial flaubertien.
La conférence illustrera les premiers résultats obtenus, lors de mon séjour à l’UBM, en enquêtant, à l’aide aussi des manuscrits du roman (dossiers documentaires d’un côté (http://www.dossiers-flaubert.fr/) et manuscrits rédactionnels (https://flaubert.univ-rouen.fr/) de l’autre), sur la manière dont on peut remédier aux déformations que le texte flaubertien a subies, afin de parvenir dans un second temps à une nouvelle traduction fondée sur le respect des particularités linguistiques et stylistiques de l’œuvre initiale, une retraduction ainsi plus proche du texte original et apte à restituer en langue italienne les terminologies et les modélisations discursives disciplinaires françaises. Pendant mon séjour à l’UBM, cette enquête pourra bénéficier de la collaboration avec les spécialistes de Flaubert et de critique génétique (Florence Pellegrini, Plurielles ; Gersende Plissonneau, Plurielles) mais aussi de traduction littéraire de l’italien vers le français (Delphine Gachet, Plurielles) et d’analyse du discours (Mariella Causa, CLLE Montaigne). Le groupe de travail pluridisciplinaire constitué comprendra ainsi chercheurs flaubertiens, linguistes et traducteurs italophones, ce qui permettra une approche traductive plus globale que celle qui existe généralement et une confrontation des pratiques d’interprétation et de traduction. Pourront être également intéressées par ce projet des collègues qui s’occupent de traduction littéraire et de poétique de la traduction (Isabelle Poulin et Céline Barral, Plurielles).
Informations complémentaires
Stella Mangiapane est maître de conférences en Langue, traduction et linguistique française à l’Université de Messine. Spécialiste de Flaubert et de critique génétique, elle a publié de nombreux articles et essais sur la genèse des Trois contes, de Madame Bovary et de Bouvard et Pécuchet.
Ses autres recherches portent sur le FOS (Français sur Objectifs Spécifiques), la lexicographie bilingue, la traductologie et la didactique du FLE.
Elle est membre associé à l’étranger du Groupe Flaubert-Equipe Ecritures du XIXe siècle, ITEM (Institut des textes et des manuscrits modernes) - CNRS-ENS Paris et membre associé du CNRS UMR 5317 IHRIM (Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités - École normale supérieure de Lyon).