Code Apogée
MM2513
Composante(s)
École Doctorale Montaigne-Humanités
Période de l'année
Tous les ans
Description
Le mot nature est l’un des plus souvent employés dans les Essais : « premières lois de nature », « grande et puissante mère nature », « Nature est un doux guide », « la simple autorité de nature »... La diversité de ces emplois manifeste la richesse de la notion tout autant qu’elle en trahit l’ambiguïté. Emprunter à Kant la distinction entre « la nature en moi » et « la nature hors de moi » permet de lire Montaigne d’une façon plus aiguë – non pas pour le tirer du côté de Kant (ce serait absurde), mais pour structurer des articulations implicites dans le texte des Essais. La nature est un lieu d’épreuve. J’éprouve « la nature en moi » quand je me heurte à mon naturel, à ma « maîtresse forme » qui résiste à l’éducation et aux conventions sociales, voire à mes passions. « La nature hors de moi » est chez Montaigne la nature tout court, dont il doute qu’elle puisse être scientifiquement connue, mais dont il sait aussi reconnaître la diversité, la grandeur et même la beauté. Faisant médiation entre cette nature interne que je suis seul à connaître et cette nature externe que l’humanité s’efforce de maîtriser, la nature des femmes et hommes autres que moi (nature naturelle des Cannibales, nature altérée de la civilisation européenne), objet de l’anthropologie, apparaît comme la plus grande énigme pour la pensée, mais aussi comme le lieu d’une reconnaissance et d’une réconciliation possibles.
Bernard Sève est professeur émérite en esthétique et philosophie de l’art à l’Université de Lille. Outre différents travaux sur la pensée de Montaigne (Montaigne, des règles pour l’esprit, PUF, 2007), et une trentaine d’articles et de communications, il a notamment publié L’Altération musicale (Seuil, 2002), De haut en bas : philosophie des listes (Seuil, 2010), L’Instrument de musique (Seuil, 2013), Les matériaux de l’art (Seuil, 2023).